Au fil des ans, plusieurs événements nous auront marqué et ce, pour différentes raisons. Le décès d’un proche, un mariage, une naissance, un premier baiser, une rupture… Mais aussi des événements historiques comme l’assassinat de JFK pour les plus vieux, l’effondrement du mur de Berlin ou encore les attentats du 11 septembre 2001, par exemple. Et il y a de ces événements, anodins pour la vaste majorité mais ô combien importants pour vous tant ils vous ont marqué et pour lesquels vous conservez un vif souvenir. Aujourd’hui je veux partager l’un de ces souvenirs d’enfance avec vous.
Reportons-nous au début des années 80. Ayant été bien élevé, je déteste déjà le CH et mon père ne cesse de me parler des Nordiques enfin dans la LNH depuis plusieurs mois si tant et bien que j’ai utilisé cette merveilleuse faculté qui m’a été donnée qu’est la mémoire et je connais ainsi le nom et le numéro de chaque joueur des Nordiques. À une ou deux reprises, pendant la saison, nous avons eu la chance de voir les Nordiques à la télé, ceux-ci jouant contre le CH un samedi soir. Car pour les plus jeunes, en ce temps-là, seuls les matchs du samedi soir du CH étaient présentés à la télé. Pour suivre nos Bleus, il fallait donc ouvrir sa bonne vieille radio.
En guise de cadeau d’anniversaire - j’avais célébré mes quatre ans la veille - mon père m’amenait au Colisée en ce soir du 26 février 1980. Avant le début la rencontre, l’annonceur-maison fait une annonce spéciale. Les Nordiques vont honorer un joueur de l’équipe adverse. Je ne comprends pas.
- Papa, pourquoi ils demandent d’applaudir un "pas Nordiques" (j’ai 4 ans!)
- Mon gars, le Monsieur qui est au centre de la glace avec son gilet vert et avec le numéro 9, c’est le plus grand joueur de l’histoire de la ligue et il a annoncé qu’il allait prendre sa retraite à la fin de la saison. Alors pour saluer tout ce qu’il a accompli, on le félicite, même s’il joue contre les Nordiques.
- C’est quoi son nom?
- Il s’appelle Gordie Howe.
Au même moment, la foule se lève et réserve une chaleureuse ovation à M. Hockey. Moi, tout ce que je vois, c’est un vieux monsieur avec les cheveux gris et le chandail vert de l’ennemi. Le bruit est assourdissant. Pour ceux qui sont déjà allés au Colisée Pepsi, l’acoustique y est merdique. Tout est écho. Alors j’entends tout le monde applaudir autour de moi mais aussi l’écho des 10 000 autres fans et c’en est trop : je dois me boucher les oreilles. Comme les applaudissements me semblent durer des heures, je regarde mon père pour qu’il arrête d’applaudir – cela va peut-être inciter les autres à arrêter aussi. À ma stupéfaction, mon père a les yeux brillants. Il est dans une bulle. Il vit son moment. Je ne comprends toujours pas, du haut de mes quatre ans, pourquoi on applaudit l’ennemi. Pourquoi mon père est heureux d’applaudir les méchants?
L’ovation cesse. Le match commence. Encore une fois pour les plus jeunes, dans ce temps-là, les gardiens demeuraient debout et étaient faiblement équipés. De plus, la différence entre les meilleurs joueurs et les moins bons étaient à des années-lumières de ce qu’elle est aujourd’hui. Autrement dit, c'est comme si chaque équipe avait dix Sidney Crosby et dix Turner Stevenson. Quand les Crosby d’une équipe étaient sur la glace en même temps que les Stevenson de l’autre équipe, il y avait un but. Les Nordiques ont gagné 9-5. Et 9-5 était une marque normale à cette époque. D’ailleurs dès cette année-là, un certain Wayne Gretzky participait souvent à des victoires de plus de 10 buts pour son équipe. Autres temps, autres mœurs…
Ce souvenir est demeuré enfoui dans ma mémoire pendant des années. Mon père ayant été élevé à la dure, les hommes n’avaient pas le droit d’avoir des émotions. Il a fallu le décès de son père, mon grand-père paternel donc, pour que je revoie de l’émotion chez mon père. Et vlan! un flashback de cette fameuse soirée m’est revenu! Pas le film du match, mais quelques bouts de l’avant-match et surtout ces yeux brillants de mon père en applaudissant Gordie Howe.
Mon grand-père est décédé quand j’avais 18 ans. Au fil des ans, j’avais vu d’autres ovations monstres accordées à des légendes comme Richard ou Béliveau. Et ayant grandi au cœur de la plus grande rivalité du sport en Amérique du Nord, je vivais toute cette passion et le hockey était déjà ma religion, comme elle l’est toujours chez nombre de Québécois. Et c’est là que j’ai fait le lien entre l’émotion de mon père au décès de son père et l’émotion de mon père qui pouvait voir Gordie Howe sur patins pour une dernière fois et lui porter respect.
Et j’aurais voulu chuchoter aux oreilles du petit garçon qui se les bouchait :
- C’est un grand homme qui est sur la glace en ce moment. Cet homme a largement contribué à ce que l’endroit où tu es en ce moment soit rempli de fiers partisans qui adorent ce sport et ses gladiateurs. Il a transmis sa passion, a joué jusqu’à 51 ans, chose qui ne s’est toujours pas reproduite et ne se reproduira sûrement jamais. Alors il mérite pleinement cet hommage. Tu comprendras plus tard. En attendant, regarde comment ton père est heureux et fier. Et il aurait dû te le dire à ce moment-là mais il se trouve que ce fameux M. Howe a joué pour les Red Wings pendant plusieurs années. Détroit, l’autre équipe préférée de ton père. Mais ça non plus tu ne le comprends peut-être pas qu’on peut aimer plusieurs choses à la fois même si elles paraissent s’opposer de prime abord…
Aujourd’hui, j’ai entamé la quarantaine. J’ai une ado. Elle n’aime pas vraiment le hockey. Mais elle aime les sensations fortes. Et il n’y pas grand-chose qui s’approche de la sensation de 20 000 personnes réunies dans un endroit - somme toute restreint pour 20 000 personnes - et qui crient en même temps après un but. La vibration à l’intérieur de de ton corps par la force du bruit de l’addition des 20 000 cris et applaudissements est unique. J’aimerais bien qu’elle connaisse cela, qu’elle le vive, le ressente.
Bien entendu, je n’ai pas été élevé à la dure. Ce temps-là était révolu. J’ai même plutôt été élevé dans la ouate. Alors ma fille m’a vu heureux, triste ou en colère au fil des ans. Elle m’a vu rire et pleurer. Je me demande comment elle me percevra quand elle me verra me lever de mon siège, applaudir à tout rompre et avoir le sourire fendu jusqu’aux oreilles et les yeux brillants lorsque nos Nordiques sauteront sur la glace pour la première fois en plus de 20 ans en ce début d’octobre prochain? Et moi, est-ce que j’aurai un sentiment de déjà vu?
Commentaires
Super Bon!!
Peut-être verras-tu Jagr se faire applaudir avec elle?
Une coupe longueuil grise qui aura porté à peu près tous les chandails si c'est le cas.
Bravo encore!
merci et ca m'a fait du bien et me remémorer des bons souvenirs avec ma grand-mere